ECUE 232 Voyages et découverte du patrimoine régional (E. Tartakowsky)
Le fait mémoriel et patrimonial appliqué aux immigrations méditerranéennes constitue, depuis les années 2000, un des terrains privilégiés des recherches en sciences sociales portant sur les migrations. Phénomènes sociaux et politiques, les pratiques de moralisations et de patrimonialisation sont déployées à des échelles variées : intime, familiale, locale, régionale, nationale. Elles s’appuient sur des supports divers et s’inscrivent dans le territoire. La publicisation d’une histoire migratoire, sa valorisation dans l’espace public assurent la transmission et facilitent la construction d’une mémoire et/ou d’un patrimoine collectif. La transmission mémorielle et patrimoniale implique également les acteurs dont l’intentionnalité de l’action est variable : les immigrants eux-mêmes, leurs descendants, des « entrepreneurs demémoire », créateurs et écrivains, professionnels publics et privés. Les enjeux de ces interventions dépendent également des contextes sociaux et politiques, souvent tissés de contradictions et de divergences, dans lesquelles elles se déploient. De même, la non-patrimonialisation de traces mémorielles de certains groupes migratoires éclaire, elle, la construction patrimoniale comme un fait intrinsèquement politique et comme un processus aux prises avec les inégalités sociales ou d’origine. Interroger la mémorialisation et la patrimonialisation implique donc de prendre en compte à la fois la subjectivité des acteurs, leurs attentes de légitimation, l’état du débat public ainsi que le degré d’institutionnalisation des mémoires des migrations par les pouvoirs publics. Penser le patrimoine des immigrations méditerranéennes en France permet enfin d’interroger la notion même de patrimoine dont l’acception régalienne renvoie à l’intégration des populations migrantes au sein de la nation. En s’appuyant sur quelques exemples concrets, ce cours vise donc à présenter différents modes de mémorialisation et de patrimonialisation des immigrations méditerranéennes postcoloniales en France : celles des pieds noirs, des Algériens, Tunisiens et Marocains arabo-musulmans, Juifs maghrébins, harkis. Il entend apporter quelques réponses aux questions suivantes : comment les différentes populations d’immigrés méditerranéens construisent-elles leurs rapports au passé et comment l’institutionnalisent-elles ? En quoi le patrimoine participe-t-il du renforcement du lien social et des appartenances collectives ? Sur quelles sources (histoire orale, objets en exil, archives, etc.) s’appuie la mise en valeur patrimoniale ? Quels enjeux entourent ces pratiques depatrimonialisation (domination, bricolage et métissage, autonomie culturelle, adaptation) et quels sont les cadres sociaux permettant leurs manifestations (classe, âge, origine, contextes sociaux et politiques) ? Sur quels supports matériels ou immatériels s’appuient ces processus depatrimonialisation (érection de monuments, pose de plaque, lois mémorielles, littérature et créations artistiques, pratiques funéraires, associations, etc.) ? Quelles transformations éventuelles(émotionnelles, institutionnelles, matérielles etc.) subissent les objets patrimonialisés ?