ECUE 52b2 - Littérature et cinéma (O. Aubry)
« Spectateurs, critiques ou cinéphiles, on s'est tous fait un jour la remarque qu'une salle de cinéma ressemblait souvent, même étriquée, même dé-théâtralisée lorsque l'on entend le bourdonnement de la salle voisine, à un théâtre, qu'elle en gardait son souvenir ou son contour. Quelque chose demeurait structurellement de la « scène moderne » (pour reprendre l’expression à Giovanni Lista) et de la position théâtrale comme souvenir du lieu de l'expression directe de l'avant-garde, de ses expérimentations allant jusqu'à intégrer sur la scène : cinéma, projections, vidéos ». Le critique Jean Douchet nous rappelle ainsi dans son essai L’homme cinéma (2014) la relation étroite qu’entretiennent théâtre et cinéma. La question du théâtre ne se réduit pas, tant s’en faut, à la seule question localisée de l’adaptation de la pièce de théâtre au cinéma. La théâtralité (le théâtre sans la pièce de théâtre) est partout dans le cinéma : dans la scénographie, dans le jeu des acteurs, dans la dramaturgie, dans le traitement du temps, dans le découpage en scène, dans la mise en scène. André Bazin en a eu une claire conscience dès l’origine de la théorie du cinéma : « le cinéma est l’envers complice du théâtre, même dans les films où il n’est pas une seule fois question de théâtre ». Ce célèbre critique de cinéma a eu tout de suite l’intuition que c’est au contact du théâtre que le cinéma trouvait à définir le plus nettement sa spécificité en travaillant aux frontières d’un art proche et pourtant radicalement différent dans sa pratique de création et dans ces conditions de réception par le public. En neuf séances de deux heures, le cours se propose d’aborder les aspects essentiels de cette relation fondatrice, à partir d’extraits de « films de cinéma » dont certains ont un rapport direct avec le théâtre et d’autres seulement avec la théâtralité. Il aurait été possible d’inclure des extraits de films tournés à partir de représentations théâtrales : une pièce filmée sur scène devient du cinéma, quel que soit le degré et le mode d’intervention du cinéaste simple (captation en direct, filmage différé, remise en scène partielle). Mais cela aurait été une autre face de ce grand sujet qui mériterait à elle seule un cours spécifique. Le cours s’appuiera malgré tout sur deux exemples dans lesquels un chef-d’œuvre du cinéma intègre le répertoire de la Comédie-Française : quelques extraits de captation filmique seront ainsi projetés afin de les mettre en perspective avec les images qui ont nourri l’imaginaire des cinéphiles du monde entier. Ainsi, le cours se centre sur la question du théâtre et de la théâtralité dans les films de cinéma, déjà si riche et si vaste à elle seule. Les neuf séances s’attachent à construire de multiples passerelles entre l’approche spécifique du théâtre et celle du cinéma à partir d’extraits d’une grande variété d’époques (de 1895 à 2021) et de genres (burlesque, screwball comedy, drame, western, suspense, fantastique, film noir, comédie musicale…), invitant à parcourir l’histoire du cinéma depuis ses origines jusqu’à notre époque contemporaine, de Limelight – Les Feux de la rampe (1952) de Charlie Chaplin à Joker de Todd Phillips (2019), de To Be or Not to Be (1939) d’Ernst Lubitsch à Dangerous Liaisons – Les Liaisons dangereuses (1988) de Stephen Frears, adapté de la pièce de théâtre de Christopher Hampton d’après le roman de Choderlos de Laclos ou encore du Carosse d’Or (1953) de Jean Renoir à Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino. Une séance est consacrée à un genre purement cinématographique qui emprunte au dispositif théâtral : le huis clos. Chaque extrait de film explore et représente cette filiation entre ces deux arts de la représentation de la vie, et donne à voir la manière dont ils se nourrissent mutuellement.